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Les années Guyonnet
Bernard Guyonnet arrive à Livet - Nantes
Le géographe est parti. C’est un historien qui prend la tête du lycée d’enseignement technologique Eugène-Livet, à la suite de Jacques Joubert, parti à la retraite. Un homme du temps après celui des espaces. Bernard Guyonnet, 56 ans, vendéen de naissance, a depuis longtemps délaissé ses recherches sur les relations entre communautés et pouvoir sous la monarchie absolue. Jusqu’à cette rentrée, il était directeur de cabinet de la rectrice, un poste autrement exposé. Confronté aux syndicats, soumis aux directives ministérielles... " Une expérience enrichissante. Avant d’y travailler, je considérais cette administration comme un mammouth, incapable de se transformer. En fait, les gens sont obligés d’évoluer constamment, avec tous les nouveaux textes qui sortent sans arrêt... ", confie Bernard Guyonnet. Appelé par le recteur Bloch en 1998, ce dernier le lâche au bout de trois mois. Loin de lui en vouloir, le nouveau proviseur de Livet garde l’image d’un " grand serviteur de l’État, modèle de haut-fonctionnaire ". " Il connaissait bien ses dossiers, nous faisait travailler dur mais on était content. " Après Daniel Bloch, c’est Jean-Pierre Bénéjam puis Annie Cheminat. Trois recteurs en deux ans : " J’espère que je n’en suis pas la cause ", ironise-t-il. Dans le même temps, il aura été dirigé par quatre ministres. " J’ai un faible pour Ségolène ", ajoute-t-il. Fin de la parenthèse. A Livet, c’est un retour au terrain. Descendre de sa tour d’ivoire pour se confronter aux multiples interlocuteurs avec lesquels un proviseur doit composer. Enseignants, élèves, personnel, État, Région... Des responsabilités qu’il affectionne... Et connaît bien. Après dix ans de professorat au collège de la Géraudière (rebaptisé Stendhal), il est nommé adjoint au proviseur, " censeur des études ", disait-on à l’époque, à Carcouët. Le pédagogue se frotte à cette fonction pendant six ans. Puis, c’est Segré (Maine-et-Loire) où il devient proviseur dans un lycée polyvalent. Il découvre l’enseignement technologique, se passionne pour son ancrage dans le réel. Enfin, il atterrit aux Bourdonnières où il reste trois ans. " Excellent souvenir ", glisse-t-il. Livet arrive donc en quelque sorte comme une consécration dans sa carrière. " Respect pour l’institution, vieille de 150 ans ", martèle Bernard Guyonnet. " Trois élèves ont été reçus à Polytechnique, sur 15 en France. " Un mastodonte de 1 600 élèves qu’il souhaite accompagner en " renforçant les liens avec les forces économiques régionales et en mettant l’accent sur la réussite de l’élève ".
Ouest-France, lundi 4 septembre 2000.
La solitude du proviseur dans son lycée bloqué
Bernard Guyonnet n’a jamais connu de blocage aussi long. Il veut maintenir le dialogue.
Bernard Guyonnet est proviseur de Livet, 1 600 élèves, un lycée technologique industriel et scientifique de Nantes. Il raconte le blocage de son établissement, depuis quinze jours déjà.
« Bon les gars, vous me ramenez ce chariot et ces palettes. Ça fait quand même mauvais effet ! » Bernard Guyonnet a pris son air de proviseur, père sévère, bourru, sympa. Près de la barricade, les jeunes vigies ont répondu, sur un ton direct, sans embrouille. « Ouais, M’sieur, pas de problème. » Scène ordinaire de blocage à Livet, lycée technologique, industriel et scientifique de 1 600 élèves en plein centre de Nantes. Depuis quinze jours, les quatre entrées de l’établissement sont barricadées par un entassement de poubelles couvertes de graffitis. Ce sont des « poubelles qui parlent », qui disent « non » au CPE et bien d’autres choses sur l’univers des ados.
« Alors, vous avez vu, claironne Bernard Guyonnet, c’est pas méchant. Même au plus fort du mouvement, ils ont observé les consignes d’interdiction de fumer dans l’établissement. Jamais, il n’y a eu de haine. C’est un peu le jeu du chat et de la souris. Et je suis le gros chat. Vous déplacez une poubelle, ils vous laissent faire et la remettent une fois que vous avez le dos tourné. Les premiers jours, il a fallu trouver de nouveaux cheminements, faire en sorte que le bahut soit accessible. Compliqué ! » A Livet, le blocage est très vite devenu sélectif. Les 400 post-bac, les « prépa », les BTS, ont obtenu d’entrer et de suivre leurs cours. Ce jeudi, les épreuves de l’agrégation en arts plastiques se déroulaient tout à fait normalement. « Depuis quinze jours, c’est un peu une liturgie. Ça bloque tôt le matin. Tout le monde se fait peur. Et puis ça se relâche. Moi, je reste disponible à tout moment. On ne sait pas ce qui peut se passer. »
Il parle de ses collègues proviseurs, avec qui il est en contact régulier. « Ils sont fatigués. Crevés ! Ils n’en peuvent plus. » Lui-même, au-delà d’une volonté de dédramatiser, finit par avouer qu’il n’a pas dormi la nuit précédente. La déclaration de son ministre de tutelle sur une éventuelle utilisation de la force pour débloquer les lycées, « finalement, du carburant pour le conflit », puis le démenti, enfin la confusion ont fait du petit bois pour son insomnie ! « On n’est pas maîtres de la situation, mais complètement à la merci de ce qui se passe au national. Et on avance au jour le jour. La tutelle nous informe, nous écoute. Chaque jour, j’adresse un mot au rectorat, les trois ou quatre faits saillants de la journée. Mais je suis énervé, en permanence. Parce qu’il faut garder le lien entre les différents protagonistes, faire en sorte que cette maison ne se transforme pas en champ de bataille virtuel ou réel. Parce que maintenant, on peut s’attendre à tout. »
Alors, ses journées filent à nourrir le contact avec ses profs, ses élèves, le personnel, le rectorat, les parents d’élèves. « Mardi, jour de la grande manifestation, sourit-il, j’étais bien seul pour assurer la continuité du service public. » Quelle attitude adopter en ces jours de météo si imprévisible ? Certains parents s’étonnent auprès de la Vie scolaire que le lycée soit encore bloqué, que les forces de l’ordre ne soient pas intervenues. « Ce matin, rétorque Bernard Guyonnet, il y avait 200 jeunes devant la porte principale. J’ai proposé à ceux qui le désiraient d’entrer avec moi dans le lycée. Personne ou presque ne m’a suivi. Le blocage, c’est une violence. Mais il ne faut pas confondre les rôles. Notre responsabilité s’arrête aux portes de l’établissement. Après, c’est celle du ministère de l’Intérieur. »
Depuis mardi, il a commencé à réfléchir à ‘ l’atterrissage’ du mouvement. Que ça se fasse le plus possible en douceur. « A 62 ans, je n’ai jamais connu un blocage aussi long. Je ne comprends pas la difficulté des gens à se parler. Et pourtant, ce n’est pas compliqué. On n’est quand même pas dans un pays en état de guerre civile larvée. Ce sont des jeunes, pas des bandits de grand chemin. » Dans cet ancien grand séminaire converti en lycée technologique, Bernard Guyonnet observe cette jeunesse, apprend à la connaître. « Ce mouvement a révélé de l’angoisse, mais aussi beaucoup de vie. Les jeunes ne veulent pas d’un monde de vieux, de rentiers. Mais pouvoir prendre leurs affaires en main. Au lycée, quand on les sanctionne, on explique, on justifie. On leur apprend qu’on est dans un monde de droit. Du respect de l’autre. Et quand ils passeraient en entreprise, on pourrait désormais les remercier du jour au lendemain, sans justification ? Ça, oui, je crois que, pour eux, c’est ravageur. »
Marc PENNEC
Ouest-France, 31 mars 2006
Bernard Guyonnet. L’esprit Livet
La question de l’esprit Livet m’embarrasse beaucoup. Y-a-t-il un état d’esprit différent des autres établissements de Nantes ? Je partirais de l’hypothèse suivante : cet établissement ou plutôt cette école succédant à l’E.N.P a gardé de cette ancienne matrice une originalité irréductible.
En effet, à l’apogée de sa gloire que je situerais entre les années trente et soixante LIVET était l’une des meilleures E.N.P de France avec un corps enseignant issu des filières techniques industrielles jaloux de son originalité de recrutement, de gestion et de sa pédagogie active.
Avec des cohortes d’élèves qui entraient dans la maison après un concours sélectif et même féroce. Une émulation constante pour être dans les meilleures classes pour intégrer les Arts et Métiers. 90% d’internes.
Tout cela cimente les individus qui ont plaisir à se revoir plus tard. Il y avait donc dans l’ensemble des acteurs de Livet le sentiment d’appartenir collectivement à une sorte de Mecque de l’enseignement technique. Depuis les années soixante, l’établissement a été l’objet d’une sévère révision de sa nature et de ses objectifs.
De sa nature : Exit l’E.N.P, les concours d’entrée, les programmes spécifiques, les corps enseignants adaptés et les horaires de services originaux. On compagnonnait alors en groupes, les enseignants devant un horaire supérieur à leurs collègues d’enseignement général. Le recrutement des élèves s’est banalisé soumis à la toise inflexible des administrateurs rectoraux : tant d’élèves, tant de divisions, tant de postes…
Ainsi le lycée d’enseignement général et technologique Livet des années 2000 n’est-il pas appelé à rejoindre le peloton des établissements scolaires de second cycle aux recrutements bigarrés et aux résultats bien moyens pour ne pas dire médiocres aux examens. Il n’aurait gardé de la glorieuse E.N.P qu’un nom et une réputation sans lien avec la réalité observée. Je mets à part les Arts Appliqués et les post-bacs (encore faut-il bien constater que nos élèves qui intègrent ces classes résultent d’une très forte évaporation)
Et pourtant, il existe bien un esprit LIVET chez les élèves qui y entrent (souvent) à reculons et qui ne sont sûrement pas les travailleurs les plus acharnés de l’Académie. On décèle rapidement une adhésion que les enquêtes confirment et qui se vérifient à la fin de la seconde. Chez les enseignants, et là, il faut assister à ces réunions à l’atelier la veille de Noël ou des grands moments où tous les enseignants techniques du BP aux prépas échangent solidairement. Chez les personnels dits de services ou administratifs où l’on trouve un attachement quasi charnel à la maison.
Ainsi l’esprit Livet résulte d’une combinaison de multiples éléments dont je distinguerais deux déterminants à mon point de vue : Le type d’enseignement délivré à Livet. Je sais que l’enseignement général a dû constamment adapter sa pédagogie mais l’enseignement technique qui est l’originalité de Livet, parce qu’il doit être en phase en permanence avec la transformation du monde s’oblige à la recherche, à l’expérimentation, à la curiosité, à l’anti-routine.
Le lieu : cet ancien séminaire rénové avec sa partie historique et sa partie futuriste inspire à tous même si l’on s’en défend une certaine sérénité. Il y a assurément un génie du lieu.
Je termine en affirmant qu’en sept ans de direction, j’ai observé combien beaucoup d’acteurs du système éducatif œuvrant à LIVET s’impliquaient au-delà du raisonnable pour la réussite au sens large des élèves et la promotion de leurs filières, fiers d’être dans cet établissement. C’est peut-être çà l’esprit LIVET.
Bernard Guyonnet, le 28 mars 2008.
Le Secrétariat et la porte donnant sur le Bureau du Proviseur au fond.
© Photo J.L M