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Dictées. Années 1922-1923-1924-1925-1926
© Fonds Le Faucheur
École Nationale Professionnelle de Nantes, 4ème Spéciale
Dictée du 28 mai 1924
Conseils à la jeunesse
Le monde dans lequel vous entrerez bientôt ne vous épargnera pas les heures difficiles. Trente années ont suffi pour modifier profondément la valeur des forces qui en constituent l’équilibre. Autour de notre France compacte et unifiée mais de population stationnaire ont grandi démesurément les races pullulantes de vie et regorgeantes de sève. Des nations nouvelles sont nées de la vie politique et d’autres réveillées d’une torpeur séculaire retrouvent avec les audaces de la jeunesse des ambitions de leur passé. L’Amérique élabore sur un plan plus vaste une humanité nouvelle, produit de la sélection de toutes nos humanités d’Europe. La massive et inhospitalière Afrique pénétrée de toutes parts, perd pour nous son mystère. Et voici, qu’acteurs imprévus dans le drame mondial apparaissent les jaunes, longtemps séquestrés dans un isolement volontaire, avec leurs réserves d’hommes inépuisables, leur énergie patiente et rusée et leur redoutable faculté d’adaptation. Tous ces nouveaux venus, profitant de lent travail accumulé par le vieil Occident et du trésor de sa coûteuse expérience s’épargnent les longs tâtonnements, font l’économie de siècles de science et entrent de plein pied et de niveau dans le courant du progrès moderne. Heureusement, le nombre n’est pas tout dans la balance des forces humaines, il n’est qu’un des éléments du succès. Une nation se soutient par la virilité des mœurs publiques et privées, par la concorde sociale, par l’éclat de l’intelligence et de l’effort continu vers le progrès.
Annoté sur la même copie La virilité des mœurs publiques et privées : l’énergie des gouvernements et des habitants.
Remarque : pas d’indication d’auteur.
Dictée du 21 mai 1924
Le manufacturier devant la science
Ce n’est qu’avec la plus grande circonspection qu’on doit porter dans les ateliers les innovations quelque avantageuses qu’elles paraissent. Avant de changer ce qui est, avant de modifier ce qui prospère, avant de détourner un cours d’opérations qu’on croît pouvoir améliorer, il faut que l’expérience ait prononcé sur les changements qu’on projette, et que le nouveau procédé ait reçu la sanction de la pratique et même l’aveu du consommateur.
Remarque : pas d’indication d’auteur.
Dictée du 7 mai 1924
(Sans titre)
La terre n’est qu’un point dans l’espace, une molécule astrale, mais pour les hommes qui la peuplent, cette molécule est encore sans limites, comme au temps de nos ancêtres barbares. Elle est relativement infinie puisqu’elle n’a pas été parcourue dans son entier et qu’il est même impossible de prévoir quand elle sera définitivement connue. Le géodésien, l’astronome, nous ont bien révélé que notre planète ronde s’aplatit vers les deux pôles. Le météorologiste, le physicien, ont étudié par induction, dans cette zone ignorée, la marche probable des vents, des courants et des glaces. Mais nul explorateur n’a vu ces extrémités de la terre, nul ne peut dire si des mers ou des continents s’étendent au-delà des grandes barrières de glace dont on n’a point encore pu forcer l’entrée. Dans la zone boréale il est vrai, de hardis marins, l’honneur de notre race, ont graduellement rétréci l’espace mystérieux, et de nos jours le fragment de rondeur terrestre, qui reste à découvrir dans ces parages ne dépasse pas la centième partie de la superficie du globe. Mais de l’autre côté de la terre les explorations des navigateurs laissent encore un énorme vide, tel que la lune pourrait y tomber sans toucher aux régions de la planète déjà visitées. D’ailleurs les mers polaires, que défendent contre les entreprises de l’homme tant d’obstacles naturels, ne sont pas les seuls espaces terrestres qui aient échappé aux regards des hommes de science ; chose étrange et bien faite pour nous humilier dans notre orgueil de civilisés, parmi les contrées que nous ne connaissons pas encore, il en est qui seraient parfaitement accessibles si elles n’étaient défendues que par la nature : ce sont d’autres hommes qui nous en interdisent l’approche. Nombre de peuples ayant des villes, des lois, des mœurs relativement policées, vivent isolés et inconnus comme s’ils avaient pour demeure une autre planète ; la guerre et ses horreurs, la pratique de l’esclavage, le fanatisme religieux et jusqu’à la concurrence commerciale veillent à leurs frontières et nous en barrent l’entrée. De vagues rumeurs nous apprennent seulement l’existence de ces peuples, il en est même dont nous ne savons absolument rien, et sur lesquels la fable s’exerce à son gré.
Élisée Reclus
Annoté sur la même copie Géodésien : savant qui mesure la surface ou une partie de la surface de la terre, ou quelque distance prise sur cette surface. Ipsométrie : figuration des altitudes des lieux.
Élisée Reclus
Dictée (pas de date indiquée)
Insuffisance de notre commerce extérieur.
Nous vivons trop sur notre réputation. La situation n’est plus aujourd’hui ce qu’elle était il y a vingt ans ; des pays nouveaux, ambitieux, ardents à la lutte, ardemment outillés, ont surgi, ils nous ont dépassé. Notre prestige est toujours très grand : on nous cite, on nous invoque à l’envi, mais notre faiblesse vient de notre timidité en affaires et surtout en matière de crédit. Ne nous obstinons pas dans les formules étroites et surannées d’autrefois. Sur garanties sérieuses, les maisons allemandes consentent des crédits presque illimités. Longtemps nous n’avons voulu opérer qu’au comptant. Il faut que nos exportateurs accordent plus de facilité, il faut que les voyageurs de commerce viennent sur place avec des collections nombreuses, recrutent eux-mêmes leurs clients, défendent leurs marchandises. Il faut que nos fabricants n’hésitent pas à répandre leurs prix courants, à prodiguer des échantillons. Qu’ils se souviennent que la publicité est l’âme du commerce. Ce sont là des conseils pratiques inspirés par les exemples de tous les jours, par la façon d’opérer de tous nos concurrents et garantis par les résultats qu’ils obtiennent. Un de nos écrivains, malgré son scepticisme indulgent a laissé un jour s’échapper cet aveu : « Il n’y a de récompense que pour ceux qui osent ». Que nos commerçants s’en inspirent.
Remarque : pas d’indication d’auteur.
Dictée du 12 mars 1924
Le Grec antique
Quand nous lisons une tragédie, notre premier soin doit être de nous figurer des Grecs, c’est-à-dire des hommes qui vivaient à demi-nus, dans des gymnases ou sur des places publiques, sous un soleil éclatant, en face des plus fins et des plus nobles paysages, occupés à se faire un corps en argile et souple , à converser, à discuter, à voter ; du reste oisifs et sobres, ayant pour ameublement trois couches dans leur maison et pour provisions : deux anchois dans une jarre d’huile ; servis par des esclaves qui leur laissaient le choix de cultiver leur esprit et d’exercer leurs membres, sans autre souci que le désir d’avoir la plus belle ville, les plus belles processions, les plus belles idées et les plus beaux hommes. Là-dessus, une statue comme le Thésée du Parthénon ou bien encore la vue de cette Méditerranée lustrée et bleue comme une tunique de soie, et de laquelle sortaient des îles comme des corps de marbre ; avec cela vingt phrases choisies dans Platon et Aristophane vous instruiront beaucoup plus que la multitude des dissertations et des commentaires.
Taine, Littérature anglaise.
Dictée du 9 janvier 1924
Conquête de la Gaule par les Romains
En conquérant la Gaule, César l’a rendue tout entière et pour jamais romaine. Cette rapidité merveilleuse, avec laquelle, Rome s’est assimilé alors les Gaulois, ne se comprend que lorsqu’on sait dans quel état elle les avait trouvés : ils n’étaient pas tout à fait barbares comme les Germains, ils avaient de grandes villes, un système régulier d’impôts, un ensemble de croyances religieuses, une aristocratie ambitieuse et puissante, et une sorte d’éducation nationale dirigée par les prêtres. Cette culture, encore imparfaite, si elle n’avait pas entièrement éclairé les esprits, les avait au moins éveillés ; ils étaient ouverts et curieux, assez intelligents pour reconnaître ce qui manquait, assez libres de préjugés pour renoncer à leurs usages quand ils en trouvaient de meilleurs. Dès le commencement de la guerre, ils réussirent à imiter la tactique romaine, à construire des machines de sièges et à les manœuvrer avec une habileté à laquelle César rend justice. Ils étaient donc encore rudes et grossiers, si l’on veut, mais déjà tout prêts pour une civilisation supérieure, dont ils avaient le désir et l’instinct : voilà ce qui explique qui l’aient si facilement accueillie. Ils avaient combattu dix ans contre la domination de l’étranger, ils ne résistèrent pas un jour à adopter sa langue et ses usages. La Gaule s’est si profondément imprégnée de la civilisation romaine, qu’après tant de siècles et malgré tant de révolutions, elle n’en a pas encore perdu l’empreinte et que c’est la seule chose qui ait persisté jusqu’à présent dans ce pays où tout change.
Gaston Boissier
(Brevet élémentaire 1923).
Dictée du 30 janvier 1924
Les audiences de Louis XIV
Quelque gâté que fût le roi, sur sa grandeur et sur son autorité qui avait étouffé tout autre considération en lui, il y avait à gagner dans ses audiences quand on savait tant faire que de les obtenir et qu’on savait s’y conduire avec le respect qui était dû à la royauté et à l’habitude. Là, quelque prévenu qu’il fût, quelque mécontentement qu’il crût avoir lieu de sentir, il écoutait avec patience, avec bonté, avec envie de s’éclaircir et de s’instruire ; il n’interrompait que pour y parvenir. On découvrait un esprit d’équité et de désir de connaître la vérité, et cela quoique en colère quelque fois, et cela jusqu’à la fin de sa vie. Là, tout pouvait se dire, pourvu, encore une fois, que ce fût avec cet air de respect, de soumission, de dépendance, sans lequel on se dirait encore plus perdu que devant, mais avec lequel aussi, en disant vrai, on interrompait le roi à son tour, on lui niait crûment les faits qu’il rapportait, on élevait le ton au-dessus du sien en lui parlant, et tout cela non seulement sans qu’il le trouvât mauvais, mais se louant après de l’audience qu’il avait donnée et de celui qui l’avait eue, se défaisant des préjugés qu’il avait pris ou des faussetés qu’on lui avait imposées et le marquant après par ses traitements.
Saint-Simon, Mémoires.
Dictée du 12 décembre 1923
La première humanité
Assis dans son fauteuil, mon père examinait depuis quelques instants une espèce de petits os, pointu d’un bout et tout fruste de l’autre. « Voici, dit-il, la dent d’un homme qui vécut au temps du mammouth, pendant l’âge des glaces. Cet homme ne connaissait que la peur et la faim ; il ressemblait à une bête. Son front était déprimé, les muscles de ses sourcils formaient, en se contractant, de hideuses rides ; ses mâchoires faisaient sur sa face une énorme saillie, ses dents avançaient hors de sa bouche. Voyez comme celle-ci est longue et pointue. Telle fut la première humanité. Mais insensiblement, par de lents et magnifiques efforts, les hommes devenus moins misérables, devinrent moins féroces. Leurs organes se modifièrent par l’usage, l’habitude de penser développa le cerveau et le front s’agrandit. Les dents, qui ne s’exercèrent plus à déchirer la chair crue, poussèrent moins longues dans la mâchoire moins forte… Vieil homme, dont voici la rude et farouche relique, ton souvenir me remue dans le plus profond de mon être, je sais ce que tes efforts m’ont épargné de misères. Tu ne pensais point à l’avenir, il est vrai, une faible lueur d’intelligence vacillait dans ton âme obscure, tu étais homme pourtant, et la vie que tu avais reçue si affreuse, tu la transmis un peu moins misérable à tes enfants.
Anatole France
Dictée du 24 octobre 1923
L’hirondelle
L’hirondelle prise dans la main et envisagée de près est un oiseau laid et étrange, avouons-le ; mais cela tient précisément à ce qu’elle est l’oiseau par excellence, l’être entre tous né pour le vol. La nature a tout sacrifié à cette destination, elle s’est moquée de la forme, ne songeant qu’au mouvement, et elle a si bien réussi que cet oiseau si beau, laid au repos, au vol est le plus beau de tous. Des ailes en faux, les yeux saillants, point de cou pour tripler la force ; de pieds peu ou point : tout est ailes. Voilà les grands traits généraux. Si elle n’égale point en ligne droite le vol foudroyant du faucon, en revanche, elle est bien plus libre, elle tourne, fait cent cercles, un dédale de figures incertaines, un labyrinthe de courbes variées qu’elle croise, recroise à l’infini. L’ennemi s’y éblouit, s’y perd, s’y brouille et ne sait plus que faire… Dans la grande hirondelle d’église qu’on appelle martinet, le pied est atrophié, l’aile y gagne. On croit que le martinet fait vingt cinq lieues par heure. Au rebours de tout autre être, le mouvement seul est son repos. Qu’il se lance des tours, se laisse aller dans l’air, l’air le berce amoureusement, le porte et le délasse. Qu’il veuille s’accrocher, il le peut de ses faibles petites griffes ; mais qu’il se pose, il est uniforme et comme paralytique, il sent toute aspérité, la dure fatalité de la gravitation l’a repris, le premier des oiseaux semble tomber au reptile. Prendre l’essor d’un lieu c’est pour lui difficile aussi, s’il niche si haut, c’est qu’au départ il doit se laisser choir dans son élément naturel. Tombé dans l’air, il est libre, il est maître, mais jusque-là, serf dépendant de toute chose, à la discrétion de qui mettrait la main sur lui.
Michelet
© Photo J.P Fradin
Dictée du 3 octobre 1923
Le Japon
Le Japon s’est transformé, non peut-être par goût, ni par sympathie pour l’étranger, mais par raison patriotique et aussi par amour-propre. Il s’est matériellement et partiellement transformé, c’est-à-dire à la surface ; au fond, l’ancien Japon subsiste encore. Les japonais des classes supérieures n’ont pas conservé le costume national, de peur de paraître des barbares, mais leurs femmes y sont restées fidèles, sauf les grandes dames de la Cour, esclaves de l’étiquette. Les japonais devenus manufacturiers se sont approprié l’application industrielle de nos sciences, mais ils n’ont pas le même culte que nous pour la Science. Les villes japonaises ont pris une nouvelle physionomie, mais les campagnes japonaises n’ont pas changé et leurs habitants non plus. Voici toujours la même maison japonaise, frêle et coquette, avec ses châssis qui se déplacent, ses nattes qui en sont le principal ornement, son jardinet bordé d’arbres rabougris et de minuscules montagnes artificielles, ses poissons rouges dans une piscine. Voici encore la boîte à feu sur laquelle bout la théière avec les petites tasses où l’on verse le thé et l’eau-de-vie de riz, avec les tiroirs pour les peignes, les pinceaux à écrire, les épingles et les pipes. Aujourd’hui comme jadis, les japonaises souriantes se coiffent de deux grands bandeaux bouffants, elles endossent robes sur robes, toutes légères et à fins ramages de couleurs voyantes, avec de longues manches. Elles portent une large ceinture avec un grand nœud dans le dos, elles se rasent les sourcils et se lavent les dents quand elles sont mariées.
Paul Foncin
© Fonds Le Faucheur
© Fonds Le Faucheur