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L’Institution Livet à Nantes en 1880
L’INSTITUTION LIVET À NANTES
Nous connaissons cette forte race d’instituteurs qui, doués d’une véritable vocation pédagogique, élèvent leur mission déjà si grande, en ouvrant l’Université des voies jusque-là non frayées. Comme M. Laubier, son émule et son ami, M.E. Livet a débuté par tenir une école de campagne. Plus tard, maître-adjoint dans une École Normale, avec la hardiesse des novateurs, il voulut l’indépendance, si chère à tous ceux qui ont des idées généreuses ; c’est ainsi qu’en 1846 il ouvrit à Nantes, dans les conditions les plus modestes, une petite école primaire libre. Jusqu’en 1862, il connut ces luttes pour le pain quotidien qui épuisent les faibles, agrandissent et élèvent les forts. Enfin l’équilibre de son budget lui permit de dresser dans la solitude l’originalité de ses plans. Mais entre le rêve et la réalisation il y a l’argent. Et, quand c’est à celui d’autrui qu’il faut faire appel, on sait comme le crédit redoute les conceptions qui n’ont pas encore la valeur d’un fait accompli et fuit d’une aide rapide vers le succès acquis. Mais la vocation s’impose et l’éloquence de ses convictions est persuasive. Un notaire des environs de Nantes avait compris M. Livet. Un jour que le pauvre instituteur, pensant à son œuvre, regardait d’un œil distrait des affiches d’adjudication, M. de Saint-Quentin lui propose d’acheter le terrain nécessaire à ses projets et lui met en main cent mille francs de deniers d’emprunt. On eût dit une folle enchère et cependant jamais acquisition ne fut plus sérieuse ni plus féconde. Un premier, puis un second bâtiment fut construit et l’affluence des élèves obligeait continuellement à de nouveaux travaux ; les prêteurs maintenant abondaient et une admirable institution vulgarisait en les distribuant à quatre cents élèves les principes, encore si peu connus, de l’enseignement technique.
M. Livet prend l’enfant à quatre ans et le prépare pendant quatre années par des leçons de choses. De huit à douze, il le soumet au cours élémentaire. A douze ans, commence l’enseignement professionnel, le seul dont nous ayons ici à nous occuper.
Cinq ateliers reçoivent les élèves : celui de mécanique, occupant une superficie de 400 mètres carrés, l’atelier de menuiserie et modèles, le laboratoire de chimie, la fonderie, l’horlogerie et la mécanique fine ou de précision.
L’atelier de menuiserie contient quinze établis et un tour à bois ; celui de mécanique une machine à vapeur de la force de six chevaux, trois tours parallèles, huit tours ordinaires, deux forges, un étau limeur, deux machines à percer et plus de cinquante étaux. L’enseignement technique est donné par un ingénieur pour l’ajustage, un contremaître tourneur, un ingénieur chargé du laboratoire industriel, un préparateur, un professeur de modelage, un maître pour l’horlogerie sortant de l’École spéciale de Cluses.
A l’entrée, chaque élève, reçoit un livret contenant l’énumération des outils qui lui sont confiés. On y inscrit en outre les travaux faits dans l’année, le temps qu’ils ont demandé, le prix de la matière première employée, de la pièce confectionnée, le montant du bénéfice réalisé.
Ces jeunes ouvriers sont déjà des inventeurs. Sur les données de M. le Dr Malherbe, vice-président du Conseil général d’hygiène du département de la Loire-Inférieure, ils ont exécuté une tige s’attachant à une table à ouvrage, disposée de façon à s’élever et s’abaisser à volonté, et supportant une pelote sur laquelle s’adapte le travail de la couturière. Ainsi mobilisée, au lieu d’être fixée sur les genoux, l’étoffe à préparer laisse libres les mouvements de l’ouvrière. Elle peut pendant une séance varier ses attitudes et surtout quitter la position courbée si contraire à l’organisme humain.
Cet instrument, dit pelote hygiénique se compose d’une tige à laquelle s’adapte la pelote, mobile dans une douille et se fixant au point de hauteur désiré au moyen d’une vis de pression.(prix3fr.50C)
Livet n’a point certainement fondé une école d’apprentissage ouvrière ; il forme des enfants de la bourgeoisie aux Écoles nationales d’Arts et Métiers, de la Martinière de Lyon, des élèves mécaniciens pour la marine de l’État, des candidats pour les administrations publiques, enfin des contremaîtres d’industrie. Néanmoins le plan de cet enseignement pourrait s’élargir et s’appliquer à de véritables apprentis. Il y a ainsi dans le programme de M. Livet et dans sa méthode d’application un vaste sujet d’études pour le moraliste, le philosophe et le pédagogue.
Un peu surprise d’abord, des allures nouvelles à ses yeux, de cette institution si originale, l’Université l’avait examinée avec une curiosité qui n’était pas sans prévention. Mais quand elle a vu cette organisation savante, cet harmonieux assemblage de l’étude et de l’atelier à un âge où l’esprit déjà mûri par une forte instruction élémentaire met au service d’une main jeune et souple les connaissances scientifiques qui l’éclairent et la guident, quand elle a compris la dévouement, la vocation de ce maître, qui est avant tout resté un éducateur, les défiances ont subitement cessé et elle a récompensé ces efforts en lui conférant les palmes d’officier d’instruction publique(1). La croix de la légion d’honneur(2) réclamée par l’opinion et enfin conféré par l’État, a achevé de ranger M. Livet au nombre des hommes utiles au pays, qui usent leur vie au profit d’une idée pratiquement féconde. M. Livet persiste à s’ignorer lui-même, mais, malgré sa modestie, il est temps qu’on le connaisse. L’obscurité ne convient plus à ceux qui doivent servir d’exemple. La notoriété est un dernier sacrifice qu’ont le droit d’exiger d’eux leurs concitoyens.
Ernest Nusse. Secrétaire de la Société de protection des apprentis et des enfants employés dans les manufactures.
Bulletin de janvier 1880.