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Un punch de protestation
© Fonds G.Lecomte
La manifestation organisée en l’honneur de M.Livet fils, par les innombrables amis qu’il compte à Nantes et dans la région, restera certainement comme l’un des meilleurs souvenirs de sa vie.
Il y aura malheureusement quelque chose de pénible dans ce souvenir, mais nous espérons que de prochains événements viendront faire oublier au sympathique maître la tristesse qu’il a pu ressentir hier et dont il souffre encore aujourd’hui.
On sait la mesure injuste prise contre lui. Brutalement, on l’enlève de l’Institution fondée par son père, Institution dont il était depuis de nombreuses années, le directeur effectif et qu’il avait rendue chaque année plus prospère sans jamais songer à son avenir à lui.
C’est pour protester contre cette mesure que les anciens élèves, les professeurs et les élèves actuels s’étaient réunis hier, et lui offraient un punch d’adieux.
A huit heures et demie, salle Gault, deux cent cinquante personnes environ se trouvaient réunies.
A la table d’honneur, avaient pris place M. Riom, président, ayant à sa droite M. Livet père ; M. Murie conseiller municipal ; Pilard adjoint au maire de Chantenay ; Tessier, Savenay, Sizler, Bosdecher, Frémont, Foucault, Doby, et à sa gauche, M. Livet fils ; Dupont secrétaire général de la Mairie ; Bourdin directeur des Chantiers de la Loire ; Bouvet et Tirlet.
Dans la salle se pressaient les anciens élèves, parmi lesquels, MM.Lagrange, lieutenant d’infanterie de marine ; Perrin lieutenant au 65è d’infanterie ; Leroux sous-lieutenant d’artillerie et des délégués de l ’Association venus de tous les départements limitrophes.
L’un des anciens élèves arrivé le matin même de Varsovie avait tenu lui aussi à assister au punch.
Sur la table d’honneur, avait été placé le magnifique bronze offert à M. Livet fils, le jour de la distribution des prix. Ce bronze : Souviens-toi, de M. Allouard, fort bien choisi personnifie le travail et représente un père donnant à son fils de sages conseils.
Au champagne, M. Riom, conseiller général, ancien maire de Nantes, a donné lecture des lettres d’excuses envoyées par différentes personnes qui n’avaient pas pu assister au punch.
Citons parmi celles-là : MM. Maillot étudiant en pharmacie ; Félix Dejoie notaire ; Montavy, Marchand, Freteau, Dercelle et Bouhier, président du groupe parisien qui avait télégraphié.
Puis le même orateur a ouvert la série des allocutions en prononçant les paroles suivantes :
Mes chers amis
Je vous demande la permission d’adresser à M. Livet fils, au nom de l’Association amicale des Anciens élèves, des professeurs et des élèves actuels et de leurs parents, l’expression de leur inaltérable sympathie et de lui dire les regrets que nous éprouvons tous, de le voir nous quitter, de le voir quitter cette maison où il est né, où il a été élevé, qu’il a si longtemps dirigée, qu’il a véritablement relevée, je puis bien dire ce mot.
J’éprouve en ce moment deux sentiments bien distincts, une grande joie, d’abord, de vous voir si nombreux aujourd’hui, venus tous pour témoigner au père et au fils, l’amitié que nous avons pour eux, et ce sentiment est bien compréhensible pour un vieux de la pension.
Le second sentiment est une grande peine que vous partagez tous , n’est-ce pas, de voir que la maison dans laquelle nous avons été élevés, devenue aujourd’hui École nationale, n’a plus désormais à sa tête celui qui à côté d’un homme que nous vénérons tous, la dirigea si longtemps et si bien.
Je disais tout à l’heure que M. Livet fils avait relevé l’Institution et je le répète volontiers.
C’est grâce à lui, en effet, grâce à son esprit d’ordre et de discipline que parmi les élèves, les professeurs ne comptent aujourd’hui que des amis véritables.
C’est avec une véritable tristesse que nous voyons partir aujourd’hui M. Livet fils.
Nous nous rappelons que c’est en 1846, que M. Livet père vint à Nantes où il fut l’innovateur d’un genre nouveau d’instruction qui devait être si vite adopté et donner de si bons résultats. Son fils a continué son œuvre et depuis tous ceux qui ont quitté l’établissement sont devenus de bons et honnêtes citoyens, capables de se tirer d’affaire dans la lutte pour la vie. Si tous n’ont pas réussi de la même façon, nous avons au moins l’orgueil de pouvoir dire qu’aucun n’a failli aux principes qui lui avaient été inculqués « Honneur et travail ».
Les regrets que nous éprouvons aujourd’hui sont d’autant plus cuisants que nous nous rappelons tous les paroles de M. Charlot, le délégué du ministre, lors de la distribution des prix : « Tranquillisez-vous, il n’y aura pas que des figures nouvelles à la rentrée. »
J’avais ce jour-là pris la parole et exprimé l’espoir que M. Livet fils serait le premier dans les figures de connaissance.
Quoi que nous ayons fait, quoi qu’on ait fait par ailleurs, nous n’avons malheureusement pas réussi à obtenir son maintien à la tête de l’Établissement.
L’État a pris la décision que vous connaissez, je me demande vivement où il a puisé ses renseignements.
Ce n’est certainement pas parmi nous, les pères de famille, ce n’est pas non plus parmi les anciens élèves.
Serait-ce donc auprès des autorités municipales ? Je suis certain que le Maire actuel aurait fait la réponse que j’aurais faite moi-même et n’en veux pour preuve que la présence à cette réunion de M. Le Secrétaire général de la Mairie, délégué spécialement.
Où donc, je le répète, a-t-on pris des renseignements ?
J’ai vu moi-même le ministre de l’Instruction publique. Il m’a donné un semblant d’explication que nous ne pouvons guère admettre, en posant en principe que pour des situations nouvelles, il fallait des hommes nouveaux. Je crois à la vérité que la décision prise est la conséquence des difficultés que nous avons dû surmonter pour obtenir l’acquisition de l’Institution Livet. Je ne m’avancerai pas trop en disant qu’au ministère, on se souciait assez peu d’avoir dans l’Ouest, une École nationale et encore moins pour faire cette école de prendre l’Institution Livet.
On disait nous avons déjà trois écoles nationales, si le besoin d’en faire une nouvelle se fait sentir, nous la construirons. Ce sera une dépense de quelques millions et voilà tout.
On a fini par comprendre cependant l’intérêt à faire l’achat que nous préconisions mais après enquête, on n’a pas cru devoir garder M. Livet fils. Nous le regrettons et avec nous, tous les parents qui auront malgré tout moins de confiance dans le nouveau directeur encore inconnu aujourd’hui. Il est sorti de l’Institution plus de cinq mille élèves. Parmi ces anciens un grand nombre d’entre eux auraient envoyé leurs enfants à l’école qu’ils avaient connue, mais ne les renverront certainement pas après le véritable bouleversement projeté.
C’est avec chagrin que je dis au revoir à M. Livet fils. Adieu, non car il y a encore malgré tout un espoir.
Les choses sont avancées certainement mais nous sommes à la veille de la rentrée et aucun directeur n’est encore nommé. Il me paraît difficile d’improviser ce directeur. En présence des difficultés qui vont se présenter, nous pouvons peut-être encore espérer.
Je me demandais, tout à l’heure, où l’État a-t-il pris ces renseignements ? J’ai sous la main un volume imprimé à l’occasion du Congrès pour l’avancement des Sciences, et voici ce que j’y trouve dans un rapport de M. Tchervonet sur le « mouvement scientifique à Nantes »
« L’institution Livet a été créée par un homme dont l’éloge n’est plus à faire puisque chacun sait qu’il a innové l’enseignement professionnel à ses risques et périls, risques pour lui, profit matériel et moral pour notre région.« Qu’on nous permette, à propos de l’Institution Livet, une courte anecdote : peu après le Congrès pour l’avancement des sciences, tenu à Nantes en 1875, nous nous trouvions à Paris dans un milieu intellectuel. Un savant distingué nous dit : « Savez-vous ce qui nous a le plus intéressé à Nantes, quand nous sommes allés au Congrès ? C’est l’Institution Livet. Rien ne peut faire plus d’honneur à une grande ville que l’œuvre étonnante de Livet.
S’il est bon de prêcher un converti, on ne pouvait mieux faire que d’exprimer devant nous de telles appréciations. »
Ce qui était vrai en 1875, l’est davantage encore en 1898 et c’est ce que l’on aurait dû savoir en haut lieu. Ce qui est étonnant, mes chers amis, c’est que M. Livet ait pu arriver à mettre sur pied l’œuvre que nous connaissons et que nous aimons, l’œuvre qui restera impérissable après lui. Je ne veux pas m’étendre davantage.
Je vois sur cette table, mon cher Livet, le bronze que nous vous offrons. Ceux qui l’ont choisi, l’ont bien choisi.
Souviens-toi ! Oui, souvenez-vous, souvenez-vous que vous ne laissez ici que des amis qui ne vous oublieront pas et qui, lorsque vous reviendrez vous recevrons avec l’affection et la sympathie que vous méritez.
Des applaudissements chaleureux ont couvert les dernières paroles de M. Rio.
M. Livet fils, très ému, s’est levé et a ainsi répondu avec une tristesse communicative :
Un poète latin a dit : « Tant que tu seras heureux tu compteras beaucoup d’amis ; quand les jours seront mauvais, tu seras abandonné de tous. » Vous avez voulu donner ce soir à ces paroles le plus éclatant des démentis. Vous étiez nombreux ici quand nous fêtions les jours heureux, vous êtes venus plus nombreux encore pour entourer de votre affection celui que le malheur frappe aujourd’hui en plein cœur. Comment vous exprimer ce que je ressens ? Aucune parole humaine ne pourrait le traduire. Laissez-moi vous dire cependant la consolation que ma douleur trouve dans les témoignages innombrables de sympathie que je reçois chaque jour. A ces consolations morales que vous me prodiguez, baume bienfaisant sur la blessure dont je souffre, vous avez voulu joindre une preuve matérielle d’amitié. Souviens-toi ! Je me souviendrai, en effet, et ce sera pour augmenter ma douleur. Je conserverai ce souvenir et je connais assez mes enfants pour savoir qu’ils en seront plus fiers que des parchemins ou des rentes qui leur feront défaut. Merci à tous, élèves et anciens élèves parents et amis. Je ne conserverai de ma vie au milieu de vous que le souvenir d’un beau jour sans nuage et beau jour trop vite passé malheureusement.
Ces paroles émues ont produit sur tous les assistants une impression très vive.
M. Doby, doyen des professeurs, s’est après M. Livet, exprimé en ces termes.
Mon cher ami,
Permettez-moi aujourd’hui de vous donner ce nom d’ami. Il était et il est encore dans notre cœur à tous, car jamais votre autorité ne pesa sur nous et ne cessa d’être pour ainsi dire fraternelle.
C’est là à mon avis, le secret des succès remportés par l’Établissement. Quand il y a sympathie entre les ouvriers d’une même œuvre, la réussite est assurée.
Vous savez tous, Messieurs, ce qu’a fait M. Livet. Il y a 26 ans, que je suis entré à l’Institution, et bien longtemps avant je la connaissais de réputation. Depuis, cette réputation s’est encore étendue et l’on compte par milliers les élèves qui ont fréquenté notre école.
Il est impossible de dire les regrets que nous éprouvons tous de voir partir M. Eugène ; il est impossible d’exprimer la vive douleur que nous éprouvons, nous qu’il guida, nous qui lui devons nos situations, nous qui sommes liés à lui par une éternelle reconnaissance.
Quelle que soit la direction nouvelle, ceux d’entre nous qui resteront, ne pourront jamais oublier le directeur si dévoué qu’il était.
Au nom de tous mes collègues, je vous dit adieu M. Livet, ou plutôt au revoir, ce qui est notre plus cher vœu. Je suis l’interprète de mes collègues en l’exprimant, j’en suis certain.
Un élève, M. Fauchet a succédé au professeur, comme pour bien montrer que les regrets étaient dans tous les cœurs. Voici les quelques paroles prononcées par lui :
Monsieur et cher Directeur,
Il y a un mois, nous apprenions avec douleur et stupéfaction que M. Le Ministre avait décidé que la nouvelle École Livet exigeait un directeur nouveau. Nous avions cependant toujours l’espoir dans l’avenir, car nous pensions que l’État serait reconnaissant des services que vous aviez rendus à l’enseignement et nous étions persuadés que nul autre ne pourrait mieux que vous diriger l’établissement que votre père a fondé et que vous avez si brillamment dirigé pendant vingt-cinq années qui ont été pour vous, vingt-cinq années de peine et de labeur.
Mais maintenant, nous n’avons presque plus rien à espérer : aussi nous avons voulu vous voir une fois de plus parmi nous, et je viens au nom des élèves actuels de l’Institution, vous remercier du fond du cœur des soins dont vous nous avez comblé, des conseils que vous nous avez prodigués ; nous n’oublierons jamais que vous nous aurez fait ce que nous serons en nous donnant vous-même l’exemple du travail, en nous guidant dans le chemin de l’honneur et du devoir. Nous partageons aujourd’hui votre douleur et nous garderons une large place dans notre cœur à celui qui a été pour nous un père, qui a voué sa vie, toute d’abnégation et de dévouement, à l’éducation et au bonheur des enfants.
Merci donc, cher Directeur, soyez assuré que nous n’oublierons jamais la maison où ont passé plusieurs générations, où ont régné entre tous les élèves, la solidarité et la concorde et où nous avons commencé à apprendre ce que c’était la société. Ce sera pour vous, cher Directeur, une bien douce consolation de savoir que vos élèves ne vous oublient pas et que ceux qui, occupant toutes les situations, sont dispersés dans toutes les directions, portent aux quatre coins du globe le nom béni et vénéré de leur ancien maître.
M. Marchand, avocat, ancien surveillant de l’Institution a parlé ensuite :
Je suis triste, Messieurs, pour plusieurs motifs, de voir M. Livet fils, quitter notre ville, mais c’est peut-être beaucoup, surtout, par égoïsme.
Nantes perd en lui le type parfait de la générosité et du dévouement. Pendant longtemps, grâce à mes fonctions j’ai pu apprécier son bon cœur, apprendre à le connaître. Combien de fois ne l’ai-je pas vu le matin, fatigué encore du rêve fait la nuit, d’une amélioration à apporter à l’Institution, d’une réforme à accomplir.
L’Établissement perd le plus parfait des administrateurs ; la Jeunesse perd un guide éclairé et je félicite vraiment la maison qui l’aura à sa tête, puisqu’il doit quitter celle où il espérait mourir comme dans une apothéose de travail.
Pour ma part, si j’ai réussi à franchir le fossé creusé devant moi par l’absence d’instruction dans mon jeune âge, c’est à lui que je le dois. Qu’il soit assuré de l’affection éternelle que je lui ai vouée.
Au nom du Barreau nantais, dont je suis ici un bien petit représentant, je veux lui dire qu’on n’y prononce son nom qu’avec respect.
Comme directeur, s’il n’y a plus d’espoir, M. Livet je vous dis adieu, comme ami, je vous dis au revoir.
L’allocution de M. Marchand très bien venue et exprimant des sentiments sincères, a été très applaudie.
M. Bernard au nom des élèves de l’École des Arts et Métiers d’Angers, sortis de l’Institution, est venu dire ses regrets et ceux de ses amis à son ancien maître, puis M. Livet père a lu le discours suivant :
Messieurs, mes chers amis,
Il m’a été donné de goûter un des plus grands bonheurs qu’un homme puisse éprouver, lorsque, il y a quatre ans, dans un élan de bien vive amitié, vous m’avez offert mon buste en bronze comme témoignage de votre bon souvenir.
Ce bonheur était sans mélange. J’étais tout entier au bonheur que vous me procuriez.
Aujourd’hui, vous voilà encore réunis pour offrir aussi à mon fils, un souvenir qui lui rappelle votre amitié, votre estime, votre reconnaissance ; mais que les temps ont changé ! Le bonheur que je devrais goûter est empoisonné par le chagrin que lui cause, que nous cause à tous la mesure que l’on prend à son égard.
Après de longues années, je suis parvenu, au prix d’un incessant travail, à édifier l’ Établissement où vous avez été élevés, où il l’a été lui-même. Lorsque la fatigue commençait à épuiser mes forces, en fils dévoué, il s’est mis résolument au travail afin de continuer l’œuvre que j’avais commencée. Par piété filiale, il abandonnait les chances de brillant avenir que lui méritaient ses belles qualités.
Vous savez quel essor il a su donner aux études et avec quel éclat l’Institution n’a cessé de briller jusqu’à son dernier jour. Vous n’oublierez jamais avec quel dévouement, avec quelle complaisance, il se mettait au service de tous, n’oubliant jamais personne que lui-même.
Tous, vous l’avez vu à l’œuvre ; lorsque vos vœux semblaient comblés par la vente de l’Institution, vous vous réjouissiez de la voir prospérer plus encore avec l’appui du Gouvernement ; c’est dans ce moment où l’espoir était dans le cœur de tous que nous apprenons avec un douloureux étonnement que le Gouvernement ne juge pas à propos de lui confier la direction de l ’école qu’il a dirigée pendant de longues années avec un talent, un dévouement que tous reconnaissent.
De quelle douleur il est atteint, vous le savez tous, vous qui êtes réunis ce soir pour lui témoigner nos regrets, vous tous, chers absents mais présents de cœur, qui lui envoyez de loin, de bien loin, ces témoignages si sympathiques qui lui prouvent votre amitié. Que de larmes ont baigné les yeux des nombreux parents accourus pour le remercier et lui faire leurs pénibles adieux.
Ceux qui le voient depuis la nouvelle fatale, peuvent constater son chagrin de vous quitter, son désespoir de ne plus vivre dans les lieux qui l’ont abrité depuis sa naissance jusqu’à ce jour, où sa vue se reposait avec tant de délice sur ces jeunes élèves dont il suivait les travaux et les jeux. Il trouvait sa récompense dans l’espoir de les voir réussir et arriver au but qu’il savait leur indiquer avec tant de discernement.
Ses adieux si touchants vous l’ont dit, mes chers amis ; il ne vous oubliera jamais, si dans chacun de vos cœurs, il y a un sentiment d’amitié, vous occuperez tous dans le sien, une place qu’il vous conservera toujours, vous serez toujours pour nous deux, l’objet de notre plus vive affection et de notre éternel souvenir.
L’émotion de M. Livet faisait vraiment peine à voir.
Après lui, M. Dupont, secrétaire général de la mairie, ancien élève, a parlé au nom de la Municipalité de Nantes qui tenait à assurer M. Livet des sympathies dont on l’entoure ; puis MM. Murié et Pilard ont à leur tour pris la parole, le premier au nom des habitants du 6è canton, le second au nom de M. Sevestre, maire de Chantenay, et des anciens élèves habitant cette ville. Bougniard a proposé l’envoi du compte rendu de la séance à M. Le Ministre qui, mieux informé, reviendrait peut-être sur sa décision ; enfin M. Blandel rédacteur au Populaire, au nom de M. Salières et en son nom personnel a adressé quelques paroles d’adieu à M. Livet.
Un silence se faisant dans la salle, M. Livet surmontant sa tristesse, a remercié les élèves venus d’un peu partout, pour le voir une dernière fois ici et, à ce moment il n’a pu retenir la larme qui perçait sous ses cils. Quelques observations, ayant été présentées au sujet de l’envoi du procès verbal de la séance à M. Le Ministre de l’Instruction publique, M. Riom a fait justement observer que l’envoi des journaux donnant le compte-rendu de la séance serait peut-être suffisant. Il en a été décidé ainsi aussitôt. M.Marchand ayant proposé de charger M. Sibille de remettre lui-même le compte-rendu à M. Bourgeois, cette proposition a été accueillie par des murmures tellement significatifs que l’honorable avocat n’a pas cru devoir autrement insister.
Il était 10 heures, on s’est alors séparé et devant MM. Livet, pendant un quart d’heure, ont défilé les assistants qui tenaient encore une fois à leur serrer la main pour leur affirmer leur amitié.
Nous donnons ci-dessous le texte d’une courte allocution préparée à la hâte par un père d’élève, ancien élève lui-même, et qui trop ému, n’a pu la lire au punch, avant le départ. Elle exprime parfaitement les sentiments de tous les parents d’élèves.
Messieurs Livet,
Sans crainte d’être désapprouvé, je crois aller au-devant de la pensée des nombreux parents, qui comme moi, ont eu l’heureuse idée de confier leurs enfants à votre Institution, pour être leur interprète, afin de venir vous remercier de la bonne instruction et de la belle éducation qu’ils ont reçues de vous, et surtout de la façon paternelle avec laquelle vous les avez traités. Croyez que nous vous en sommes reconnaissants, et que nous en garderons pieusement le souvenir ; aussi votre départ nous cause-t-il un profond chagrin.
Et vous, chers camarades, dites avec moi, à Messieurs Livet, que nous ne nous éloignerons jamais de la ligne de conduite qu’ils nous ont tracée, pas plus que nous n’oublierons la devise du drapeau de notre chère Institution. La chose sera facile, du reste, puisque les trois mots de cette belle devise sont contenus dans un seul et même nom, qui nous est cher à tous et restera gravé dans nos cœurs.
Ce nom, vous l’avez deviné, c ’est celui de nos anciens maîtres bien aimés.
Une Interpellation
Nous apprenons que si les fonctionnaires du ministère de l’Instruction publique dans l’ignorance des besoins de notre région et dans leur mépris des désirs hautement exprimés par notre municipalité et la population tout entière, persistent par des mesures inexplicables à ruiner l’école Livet, le ministre de L’instruction publique sera interpellé sur les raisons qui à son insu, ont décidé son administration.
1 A ne pas tenir compte de l’article 5 du projet de loi portant acquisition de L’Institution Livet dans lequel il est dit en substance qu’on apportera les plus grands ménagements à la transformation de l’École.
2 A renvoyer de cet Établissement M. Livet fils qui le dirige effectivement depuis 25 ans avec un succès toujours croissant, qui possède la confiance et la sympathie des familles et des élèves, et qui, par sa longue expérience, paraît le plus apte à diriger l’École pendant la période difficile de la transformation.
3 A manquer aux promesses écrites et verbales faites aux MM. Livet en maintes circonstances solennelles.
4 A faire perdre à l’enseignement laïque, la nombreuse clientèle acquise par M. Livet, pour l’envoyer, cette clientèle, dans les maisons congréganistes.
On lui demandera aussi d’expliquer pourquoi l’Administration n’a pas encore daigné répondre à des centaines de familles qui, depuis plus d’un mois, sont venues demander des renseignements sur les programmes et le prix du pensionnat de la nouvelle École.
Le Populaire. Dimanche 4 Septembre 1898.
Le Petit Journal. 4 septembre 1898.
© Fonds G.Lecomte